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"Je n'attends personne pour être heureux. Je n'attends que votre bonheur pour l'être ensemble." Sur instagram : @corpsbeau_

L'Abribus

Publié le 5 Octobre 2015 par June in angoisse, suicide, souffrance, ado, L'Abribus

L'Abribus

Pour rentrer chez moi, je pouvais prendre le bus. Et en sortant du métro, l’arrêt n’était pas loin. Je n’avais qu’à traverser deux petites rues et passer de l’autre coter du trottoir et j’y étais.

Il arriverait dans neuf minutes. J’écoutais de la musique, adossée à la barre de fer de l’abribus. Cet arrêt est toujours très fréquenté. Il y a des jeunes qui rentrent du lycée en semaine et qui reviennent de la ville en week-end, des vieux qui reviennent des courses, et des adultes qui vont chercher des enfants. En bref, c’est un endroit vivant. Placé en bas de la Grande rue, bordée d’un tas de magasins en tous genres, de la mairie, du théâtre et donc perpendiculaire au métro.

Derrière cet arrêt, il y a un kebab, une esthéticienne, et un magasin bio.

Rue pleine de gens, d’odeur, et de circulation.

Car en plus des bus et des cars du département, c’est une rue à voitures. Il y a des feux un peu partout, dont deux situés avants, et après mon arrêt.

Les véhicules avançaient, s’arrêtaient et redémarraient sans cesse.

Rue pleine de vie.

Un motard, habillé sans cuire, mais entièrement en noir s’arrêta devant l’abribus, juste devant moi. Sous son casque foncé et sa visière poussiéreuse, ses deux yeux clairs me regardaient. Il baissa d’abord les yeux, et je crus que notre contact visuel était fini, mais sa tête se releva et ces yeux me fixèrent à nouveau. Cette fois-ci, ce fut moi qui détournai le regard.

Étrange personnage. Le feu passa au vert, il démarra. Le duel d’yeux en était fini.

« temps d’attente indisponible » déclara le panneau d’affichage électronique. Autour de moi, le monde bougeait, sauf quelques personnes qui attendaient aussi, une vieille dame à la peau matte se grattait le menton, deux filles riaient et un jeune homme gardait précieusement un sac rouge sous son bras. Plus loin, assis devant le magasin bio, une bande d’ados en survêtement parlaient fort.

Les gens passaient, montait et descendais la rue, une sorte de mouvement perpétuel en quelque sorte.

C’est à droite qu’il surgit, l’homme à la moto. Son casque en main, découvrant un crâne chauve rasé de près ce matin. Il paraissait avoir une quarantaine d’année, quelques rides s'étaient formées sur le côté de ses yeux. Ces yeux… vert ou bleu, mais très clair.

Il avança à grands pas vers le panneau d’affichage à quelques mètres de moi. Il y jeta un coup d’œil, et tourna la tête en ma direction. Il souriait.

Pas moi. Son regard me glaça. Pourquoi était-il là ? Pourquoi regardait-il les horaires des bus, en souriant, alors qu’il avait une moto ?

En fait, la peur commençait à monter en moi. Je ne comprenais pas. Je deviens nerveuse, mes mains tremblent.

L’homme met les mains dans ces poches, il ne cesse de se retourner vers moi.

Des yeux, je cherche un potentiel aide, un allié possible. Un bus arrive, ce n’est pas les miens, il me regarde, les portes du bus s’ouvrent, comme je ne monte pas, il recule, ses yeux trop clairs m’occultent.

Je ne dois pas le regarder, sinon il va savoir que j’ai remarqué son petit jeu. Mais je ne peux pas m’en empêcher ! C’est angoissant.

« temps d’attente indisponible », je guette le panneau gris.

Peut-être que ce n’est pas plus mal. Ici, devant tous ces gens, il ne peut rien se passer... Mais s’il montait dans mon bus. Que se passerait-il ? Il ne faudrait surtout pas que je descende à mon arrêt, il n’y a jamais personne et puis il pourrait me suivre jusque chez moi !

Le temps que je réfléchisse, il n’était plus là, j’amorce un souffle de soulagement, qui s’éteint vite. Plus haut, j’aperçois le deux-roues.

Il est donc toujours là. Quelque part. Mais je ne sais même pas où. Je crois que c’est le pire.

« temps d’attente indisponible »

Je recule d’un pas, derrière le kebab, il y a une enseigne d’opticien. Et c’est par l’une des portes que je vois son crâne brillant se détacher. Il me guettait.

Rapidement, je r’avance. Pitié qu’il ne m’a pas vue… Pitié ! »

Un autre bus passe, puis un car. Et le revoilà, toujours souriant, me fixant et détournant le regard pour feindre d’être intéressé par un des bus. Puis il remonte.

Sa moto ne bouge pas, je ne sais pas où il est. J’ai peur. S’il me suit, que fera-t-il ?

Je ne suis pourtant pas habillé très court. Même pas du tout. Je porte un jean, mais Doc Martens, un pull noir. Et je ne suis pas spécialement jolie. Je n’ai pas de seins, pas vraiment de fesses non plus. Il s’en rendra vite compte, s’il veut me violer.

Il repasse, encore le même cirque, le même sourire de sadique et le même regard de plus en plus louche, de plus en plus pervers.

Et il repart.

Le panneau affiche enfin « quatre minutes d’attente ». Je scrute le paysage, son cyclomoteur n’est plus là.

Que faut-il penser ? Qu’il s’est lassé d’attendre. Ou qu’il a avancé d’un arrêt. Mon hésitation n’a pas le temps de s’installer. Il redescend. Me regarde, ses dents me dégoutent. Il me terrorise. Son visage si rose et si rond me reste dans les yeux après qu’il se soit encore une fois éclipsé.

Je reprends conscience du monde qui m’entoure, quand je vois mon bus arriver en bas de la rue. Allez, avance, faut pas qu’il arrive ! Ne faut pas qu’il me voie monter !

Premier feu, il s’arrête. Je regarde plus haut, pas de moto, pas de chauve suspect… Le bus redémarre. Mais s’arrête à quelques mètres de l’abribus car une voiture n’avance pas. Mon cœur se soulève. Putain ! Je suis presque arriver au bout !

Enfin, il arrive ! Je me redresse, sort ma carte d’abonnée de ma poche arrière et saute dans le bus. Ma tête me tourne, mais je n’y prête pas attention. Je fonce m’assoir au fond du bus.

Quand il démarre, je relève le crâne timidement et examine le bus. Il n’y est pas.

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